Denis Gallant raconte
29 avril 2019Un maringouin, c’est malin!
1 mai 2019Une entreprise a-t-elle une conscience? Comment punir une organisation qui a commis un acte dérogatoire? Peut-on réparer les dommages causés? Les accords de poursuite suspendue (APS) apportent quelques réponses.
La faute à personne?
Depuis un certain temps, on constate que la couverture no fault – qui s’applique normalement au régime d’assurance automobile du Québec – a trop longtemps été donnée aux compagnies de tout type au Québec. Il est difficile de retracer le chemin du coupable quand le crime a été commis en raison d’une culture non éthique profondément enracinée dans une organisation.
Mais une entreprise (personne morale) peut-elle être traitée de la même manière qu’un être humain (personne physique) devant la justice? Là est la question.
Non, puisque pour être responsable d’un acte criminel, une personne doit non seulement avoir commis l’acte (actus reus), mais aussi avoir eu l’intention de le perpétrer (mens rea). Or, une organisation n’a pas d’« intention » au même titre qu’un être humain.
Ainsi, que faire quand un crime a été commis par une entreprise? C’est la faute à qui?
Souvent, la faute n’incombe pas nécessairement à un seul individu, mais à un engrenage d’actions où plusieurs employés ont pu se prendre le doigt.
Que sont les APS?
Les États cherchent de plus en plus à imposer des sanctions aux firmes, lesquelles se complexifient et se mondialisent. Ils cherchent à récupérer ce qui leur a été volé. Déjà adoptés aux États-Unis et au Royaume-Uni, les accords de poursuite suspendue (APS) ou accords de réparation peuvent maintenant être utilisés par les autorités poursuivantes canadiennes pour contrer certains crimes d’entreprise.
À la suite d’une consultation publique menée à l’automne 2017, le projet de loi C-74 visant à instaurer un régime d’accords de réparation a été sanctionné en juin 2018. Ce régime permet au poursuivant de négocier un accord de réparation avec une organisation tenue responsable d’une infraction à caractère économique, comme une fraude, un vol, un acte de corruption ou un comportement anticoncurrentiel.
Pour qu’un tel accord soit accepté, il doit être dans l’intérêt public qu’il le soit. La nature et la gravité de l’infraction seront aussi considérées, de même que les mesures déjà prises par l’organisation pour réparer le tort causé.
Z et les contrats publics
Prenons un exemple. La compagnie Z est spécialisée dans la construction et a obtenu des contrats publics pour des travaux municipaux. Dans le cadre d’appels d’offres, Z a déjoué les règles par divers stratagèmes. Ces méthodes ont été questionnées par certains employés, mais on leur a répondu que « c’était comme ça qu’on faisait ».
Après enquête, des accusations criminelles pourraient être portées contre Z. Mais il est désormais possible d’utiliser les accords de poursuite suspendue pour accélérer le processus et obtenir réparation rapidement. Le poursuivant et Z négocient.
Une fois les faits relatifs à l’infraction déclarés, Z se reconnaît responsable (et non pas coupable) de l’infraction. Ensuite, Z consent à identifier les personnes en cause et à collaborer à l’enquête. Z doit payer une pénalité pour l’infraction commise et rendre des comptes si des bénéfices ont été obtenus à la suite de la perpétration de l’infraction. Enfin, Z s’engage à prendre des mesures de réparation pour les victimes de l’infraction. Quand toutes les conditions sont remplies, les accusations contre Z sont abandonnées.
Le mot-clé ici est réparation
Il faut éviter de donner aux entreprises fautives une façon trop facile de se tirer d’affaire. La peur de se faire prendre et la sanction doivent être assez costaudes pour les démotiver à commettre des actes répréhensibles. L’effet dissuasif de l’emprisonnement est fort pour le commun des mortels. Nous ne pouvons en dire autant pour les entreprises.
Les organisations à but lucratif visent inévitablement à faire de l’argent. La plus grande dissuasion pour elles est d’en perdre. Il est donc essentiel que le rapport coûts-avantages de la corruption soit défavorable.
Le préjudice est toujours plus grand que le crime, et la punition financière est souvent insuffisante. Quand on répare un vase brisé, il ne redevient complet que si toutes les pièces sont recollées. Il sera important que les accords de réparation ne laissent pas de « trous », sinon ils devront être injustement comblés par les contribuables.
« Pour une entreprise, la grande sanction d’une condamnation au criminel n’est pas de recevoir une amende, mais d’être bannie des contrats publics au Québec, au Canada et même à l’international.
À mon avis, il n’y a pas lieu de faire fermer une entreprise quand elle s’engage sérieusement dans un accord de réparation, puisque l’objectif de dissuasion et de réparation est atteint. »
– Denis Gallant
PDG de l’Autorité des marchés publics (AMP)
Et le lien avec le BIPA dans tout ça?
Le BIPA est un bureau d’enquête qui ne peut entreprendre de poursuites criminelles contre des entreprises ayant commis des actes répréhensibles dans le processus d’appels d’offres et de gestion contractuelle à la Ville de Saint-Jérôme. Comme dans le cas des APS, le BIPA vise la réparation des fautes à travers des négociations avec des compagnies comme Z. Il peut aussi accumuler des éléments de preuve pour d’éventuelles poursuites civiles faites par la Ville.
Les accords de poursuite suspendue permettent de faire un pas vers l’avant.
Il est temps qu’on en finisse avec l’impunité corporative.
Lire aussi : Vérités qui dérangent à propos de la corruption
Lire aussi : Lanceurs d’alerte : ouvrir les boîtes
Références
https://mcmillan.ca/Nouveau-rgime-canadien-visant-les-accords-de-poursuite-suspendue
https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/pm-cp/rc-cr/jdp-jhr/pers-corp.html
https://www.ccmm.ca/fr/nouvelles/com_integrer-un-regime-d-accords-de-poursuite-suspendue/
Pour signaler toute irrégularité en matière de passation de contrats ou tout manquement à l’intégrité à la Ville de Saint-Jérôme :
450-431-0031 |
---|