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14 mai 2019Le BIPA s’entretient avec une personne reliée au monde de l’éthique et de l’intégrité en partant d’un événement déterminant dans sa vie. Cette semaine, Me Brigitte Bishop, du BIG de Montréal, évoque le feu sacré que son père lui a légué à l’égard de la justice.
Me Brigitte Bishop n’est jamais montée sur un ring de boxe, mais elle sait ce que sont les grands combats. De 1991 à 2011, elle a été procureure à la Direction des poursuites criminelles et pénales. On dit qu’elle a été la bête noire des motards criminalisés. De 2011 à 2017, elle a ensuite agi à titre de conseillère juridique à la Sûreté du Québec. Après avoir occupé le poste d’inspectrice adjointe au Bureau de l’inspecteur général (BIG) de la Ville de Montréal en 2017 et 2018, elle a unanimement été choisie parmi 10 candidats, en décembre 2018, pour être à la tête de ce bureau d’enquête. Un défi à sa hauteur.
Vous ne seriez pas ce que vous êtes si…
…si je n’avais pas eu mon père.
Gilbert Bishop
Pourquoi?
Mon père avait un idéal de justice qui était profond et qu’il m’a inculqué. Il était policier dans l’escouade des stupéfiants à la GRC. À l’école secondaire, ça m’a marquée, on m’appelait « l’avocate ». À mes yeux, il y avait plusieurs injustices à l’école que je fréquentais. Dans un cours, par exemple, je me souviens d’un élève qui ne parlait pas bien l’anglais et qui avait beaucoup de problèmes à apprendre et, un jour, le professeur s’en est moqué. Ça m’a fait sortir de mes gonds. Je me suis levée, je me suis insurgée et j’ai montré ma colère. J’avais 12 ans. J’ai eu droit à une rencontre avec le directeur de l’école! Je lui ai précisé que je n’acceptais pas que quelqu’un soit traité injustement. Ce qui s’est produit, c’est que le directeur a appelé mon père. J’étais terrorisée. Mais ç’a été un grand moment, parce que mon père m’a félicitée. Il m’a dit : « C’est ça, la justice. C’est de défendre les gens qui ne peuvent pas se défendre. Tu as une voix, et tu l’as utilisée… » Ç’a été révélateur pour moi. J’ai compris que je possédais une force que d’autres n’avaient pas nécessairement. Ensuite, quand je suis entrée à l’université, j’étais très intimidée. J’ai eu une période de timidité et d’insécurité. J’étais Brigitte-la-petite-transparente.
Vraiment?
Tout à fait! Puis, je me suis retrouvée au tribunal-école, à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Ce tribunal-école nous permettait d’acquérir de l’expérience en plaidoirie. Ç’a été pour moi un coup de foudre. J’ai plaidé, c’était absolument génial. Je suis devenue un « monstre » de plaidoirie! J’ai regardé devant moi tous les juges du concours de plaidoirie qui ne disaient rien, et j’ai cru que c’était parce que j’avais mal fait. Mais c’était tout le contraire. On m’a dit que j’avais l’étoffe d’une grande plaideuse. Ç’a été un détonateur. Ça m’a donné la confiance pour aspirer à devenir procureure de la Couronne.
La justice, c’est de défendre les gens qui ne peuvent pas se défendre.
– Brigitte Bishop,
Inspectrice générale,
BIG de Montréal
Étiez-vous prédestinée à devenir avocate?
J’ai toujours souhaité être avocate. Mon père préparait souvent des dossiers pour la cour à la maison. Je vais vous faire sourire, mais je pensais que je n’avais pas le courage pour être policier. Je considérais les policiers comme des superhéros. J’étais certaine que si j’avais une arme dans les mains, j’allais trembler. Donc, je trouvais que la meilleure façon d’aider les gens sans danger, c’était de devenir procureure de la Couronne (rires)!
Votre père était fier de vous?
Quand il a pris sa retraite, je pense qu’il a beaucoup vécu à travers moi. Mes succès étaient les siens. Je carburais à l’admiration qu’il avait pour ce que j’accomplissais. À un tel point que lorsqu’il est décédé en 2003, je me suis demandée si j’allais encore être aussi efficace. Parce que je travaillais tellement pour qu’il soit fier de moi qu’à son départ, je me suis dit : « Mais pour qui je vais maintenant me dépasser? » J’ai ensuite compris que j’agissais par passion, et cette passion était intacte et très forte.
Au DPCP, vous n’avez pas eu froid aux yeux et avez traité des dossiers sensibles, comme faire fermer des bunkers de motards. Vous aviez l’espoir de changer un peu le monde?
Ma visée, c’était le bien commun. Si on regarde les motards criminalisés, les bunkers étaient leurs châteaux forts. Je trouvais que c’était leur « publicité », leur façon d’attirer des recrues. Je voulais tenter d’abolir ce symbole-là. Quand j’ai confisqué des bunkers, j’ai expliqué dans ma théorie de cause que ces lieux étaient comparables à une garnison. Dans l’armée, il faut démontrer qu’on a un château fort pour affirmer notre puissance. C’est exactement ce que faisaient les motards avec leurs bunkers.
Vous n’avez jamais eu peur?
J’aime pousser les limites du droit. Oui, j’ai un côté « sport extrême »! Je n’ai jamais eu peur de perdre un procès. Je n’ai jamais considéré que je perdais un procès; je me dis que je fais avancer les choses. Donc, quand je mentionne que je n’ai pas peur, c’est ça, je ne perds pas, et je ne dis pas ça par bravade. Je crois qu’on fait avancer le droit, même si la situation semble défavorable. J’aime penser que lorsqu’on essaie et qu’on persévère, on ne perd jamais.
Vous semblez avoir encore le feu sacré.
J’ai toujours été animée de cette passion. J’ai vraiment une sainte horreur de l’injustice sous toutes ses formes. Au cours de sa carrière, mon père a mis en place plusieurs programmes de prévention. Il me répétait souvent que c’est l’ignorance qui fait poser des gestes regrettables. Quelqu’un qui ignore les conséquences de la consommation de stupéfiants, par exemple, ne peut pas être entièrement blâmé. C’est dans ce sens-là que j’ai toujours aimé défendre la personne « qui ne sait pas ».
Enfant, qui était votre héros ou héroïne?
Ce n’est pas original, mais c’était mon père! J’admire le travail des policiers, leur loyauté et leur idéal social hors normes. La vie de mon père était dédiée à une cause. Il a été agent d’infiltration, il a été effleuré par des balles, il a combattu le crime organisé – la mafia italienne et les motards. On pouvait être des semaines sans le voir. Pour mon père, risquer sa vie était une chose naturelle, c’était sa vocation.
On dit que derrière chaque grand homme se cache une femme. L’inverse est-il vrai dans votre cas? Avez-vous eu un mentor ou un allié d’exception?
Oui, le juge Jean-Pierre Plouffe, qui est un ancien avocat de la défense et qui a terminé sa carrière comme juge à la Cour supérieure. Quand j’étais en 3e année de droit, j’ai eu le privilège de faire ce qu’on appelle un enseignement clinique. Pendant un an, j’ai suivi au quotidien ce juge qui était à la Cour du Québec en droit criminel. Lui, il était avocat de la défense, et moi je voulais être procureure de la Couronne. Donc, il m’a fait voir les deux côtés de la médaille, il m’a enseigné à ne rien prendre de façon personnelle, à comprendre que tout ce qui se conçoit bien s’explique bien. Il m’a aussi appris qu’il n’y a pas de différence entre être avocat de la défense ou procureur de la Couronne, ce sont deux professions tout aussi nobles. Le premier défend les intérêts individuels, l’autre défend les intérêts de la société. Il m’a fait réaliser l’importance du processus contradictoire du système de justice. Et pour que ce système fonctionne, il faut qu’il y ait deux parties. Cet enseignement m’a toujours suivie. J’ai toujours respecté mes adversaire et leurs opinions. Je n’ai pas d’ennemis en défense, j’ai seulement beaucoup d’adversaires coriaces. À la cour, on se bat, mais j’ai un profond respect pour le travail que font ces gens-là.
Quel est le meilleur conseil que vous a donné le juge Plouffe?
De toujours être droite et honnête. Dans certains dossiers, on peut prendre fait et cause, on est émotif. Mais l’émotion fait partie de la passion, et c’est correct ainsi. Mais il faut savoir prendre un pas de recul. Il m’a appris à avoir une objectivité malgré la passion.
On me demande souvent : « C’est quoi, une inspectrice générale? » C’est faire entrer un carré dans un rond! Quand ça dépasse, on ose faire autrement. C’est peut-être le rond qui doit entrer dans le carré! C’est rendre l’impossible possible.
– Brigitte Bishop
On peut dire que toute votre carrière vous a préparée à endosser vos fonctions actuelles d’inspectrice de la Ville de Montréal…
Ce poste-là est inespéré. Il représente l’amalgame de tout ce que j’ai fait. Je ne sais pas comment l’exprimer… J’ai agi comme procureure de la Couronne, j’ai été dans des équipes qui ont lutté contre les stupéfiants, les produits de la criminalité, la corruption… J’ai travaillé des dossiers de nature criminelle, économique, contractuelle… On dirait que j’ai été préparée à aboutir au poste d’inspectrice générale, parce qu’il rassemble tout ce que j’ai désiré faire. Souvent, en droit criminel en matière de corruption, je me suis butée à des limites et à des règles très particulières. Il y avait des dossiers qu’on ne pouvait pas amener à la cour par manque d’un élément ou d’une intention. Je dirais que l’inspecteur général répond à tout ça.
Quel est votre plan de match comme inspectrice générale?
Le BIG de Montréal a généré une sorte de crainte – une crainte normale. Mon plan, maintenant, est qu’il soit respecté. Marie Curie a déjà dit : « Rien dans la vie n’est à craindre. Tout est à comprendre. » Je veux que les gens comprennent que le BIG est là pour rester et qu’on n’abandonnera jamais. Je veux que les firmes de génie et les entrepreneurs comprennent l’intégrité et améliorent leurs façons de faire et leur mentalité.
C’est possible?
Il faut y croire. Moi, j’y crois. Il faut avoir des idéaux et savoir oser. Croire en l’intégrité et oser dénoncer.
Le BIG de Montréal repose sur une utopie. Nous travaillons pour ne plus exister. Ça signifierait que nous sommes venus à bout de la corruption…
– Brigitte Bishop
Si vous pouviez avoir une conversation avec une personne spéciale, qui choisiriez-vous?
Présentement, je dirais la première ministre britannique Theresa May, pour sa façon d’avoir joué quitte ou double dans la renégociation de l’accord de Brexit. Elle a réussi à repousser un vote. L’adversité me fascine! (rires) J’aime voir comment cette femme est restée debout. Ce n’est pas important que je sois pour ou contre le Brexit. Ce qu’il faut voir, c’est comment Theresa May sait essuyer des revers et suivre sa mission. J’adorerais jaser avec elle pour savoir où elle puise sa force pour surmonter les épreuves. Il y a des carrières qui sont parfaites. Moi, c’est le côté imparfait et difficile des choses qui m’intéresse.
Vous succédez à Me Denis Gallant, qui a rempli avec brio un mandat de cinq ans au BIG de Montréal. Comment poursuivez-vous? Vous développez votre propre style ou vous visez la continuité?
C’est sûr que Denis Gallant nous a laissé un bureau qui est absolument crédible et fort. Denis a façonné les fondations du BIG. Pour ma part, je vais m’employer à bâtir des ponts. Mon objectif, au terme de mon mandat de cinq ans, est de laisser un bureau très solide. Je veux développer le travail en amont, comme la prévention. Je veux que nous dénoncions, mais aussi que nous apportions des solutions. À la suite de chaque rapport que nous déposons, nous rencontrons les gens et les services concernés et nous leur demandons comment les problèmes identifiés peuvent être réglés. Nous n’arrivons pas en blâmant. Notre approche est plutôt de dire : « Comment est-ce qu’on peut vous aider? Pourquoi le système a un trou? Comment faire pour que la situation qu’on dénonce ne se reproduise pas? » C’est ça, aller en amont. C’est aller à l’origine des problèmes. La beauté de la chose, c’est que tous les gens qui participent à trouver des solutions deviennent des ambassadeurs pour le BIG.
Quand on veut tenir les entrepreneurs mal intentionnés le plus loin possible des contrats publics de Montréal, on s’y prend comment?
On leur dit qu’on sera toujours là. On marchera toujours devant eux. Au BIG, il y a des équipes d’enquêtes, des analystes, des formateurs. On étudie et on enquête les contrats, le marché. On suit les entrepreneurs pas à pas. On se questionne. On les observe. On comprend de plus en plus comment ils pensent. On anticipe.
Les méthodes pour contourner les règles d’attribution des contrats évoluent sans cesse. C’est possible pour une administration publique de suivre le rythme?
Je pense que oui. Nous, on peut s’unir. Il y a des bureaux d’enquête comme le BIG, le BIPA, le BIEL, le BIC, l’AMP, l’UPAC. D’autres bureaux d’intégrité vont se créer. Et ils ne seront pas seulement une tendance.
Vous avez un cheval de bataille?
À bien y réfléchir, oui… En droit criminel, la pire faute qui peut être commise, c’est un meurtre. Et pourtant, les meurtriers ont droit à une libération conditionnelle. Le même principe devrait être appliqué avec les entreprises qui commettent des actes malhonnêtes et qui en sont repentantes. Plutôt que de les mettre sur une liste noire, on devrait leur permettre de se réhabiliter, de s’améliorer, de changer et de réparer leurs fautes.
Comment videz-vous votre tête?
Surtout par le sport! Je cours, je fais du vélo, je nage jusqu’à laisser mes problèmes au fond de la piscine.
Dans ma « bucket list », l’un de mes rêves est de faire une différence positive dans la société. Je crois aussi beaucoup à l’engagement social. C’est important de redonner.
– Brigitte Bishop
Vous avez une phrase fétiche?
Une amie m’a offert une affiche, que j’ai mise bien en évidence dans mon bureau. À l’inverse de l’habituel « Sois belle et tais-toi », on peut y lire « Sois toi et t’es belle ». C’est important pour moi d’être authentique.
Si vous aviez les ailes d’un ange, vous partiriez pour…
C’est étrange, je suis une voyageuse, mais je partirais pour Montréal… mais dans 50 ans! J’aimerais voir ce qu’elle est devenue. J’aimerais voir l’évolution de ce que Denis Gallant a planté et de ce que j’aurai arrosé. J’aimerais que le BIG soit une photo sur un mur et que les gens disent : « Dans le temps, on avait besoin d’un bureau d’enquête comme celui-là. Aujourd’hui, ce n’est plus nécessaire. » Ce serait fantastique, non? J’aimerais que l’intégrité devienne un mode de vie.
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