Éteindre la flamme de ceux qui voudraient tricher

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Éteindre la flamme de ceux qui voudraient tricher

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15 mai 2020 | 3 Min de lecture |
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Les contrats publics ne sont pas épargnés par la pandémie. C’est pourquoi Jacques Duchesneau, inspecteur général de la Ville de Saint-Jérôme, propose une stratégie de « freineurs » à l’égard de ceux qu’on appelle les délinquants contractuels. Entrevue.

 

Comment voyez-vous ces freineurs?

Sur les autoroutes, les policiers ne peuvent intercepter tous les conducteurs qui font de la vitesse. Mais en se postant à certains endroits avec leurs radars, ils ont un effet de dissuasion. C’est le moyen de défense qu’on veut reproduire en ce moment dans le domaine des contrats publics. On veut faire des gestes barrières.

 

Concrètement, c’est quoi le plan?

On ne peut clairement pas espérer que les profiteurs et autres malhonnêtes se mettront en confinement durant la crise. Ils ne se grefferont pas une conscience du jour au lendemain. C’est donc à nous de les ralentir. Comment? En étant visibles et persévérants. En les surprenant là où ils ne nous attendent pas. En réinventant des repères. En étant créatifs et innovants. En étant au plus près du terrain. En demandant aux gens d’ouvrir les yeux avec nous dans un esprit d’engagement individuel et collectif. Chaque maillon de la chaîne de valeur compte.

Il y aura toujours des personnes qui essaieront de profiter du malheur des autres, même quand le monde est particulièrement vulnérable. Pensez aux cambrioleurs qui se faufilent d’une maison à l’autre après les ouragans! Il faut les freiner, barricader les portes.

J’ai récemment lu la lettre d’opinion de mon ami Roméo Dallaire. Il écrivait : « Nous sommes en guerre. » Il parlait d’une menace mortelle devant notre porte. Ça m’a fait réfléchir… J’ai aussi été interpellé par les propos de l’amiral français Olivier Lajous qui soulignait que la COVID-19 réunit tous les facteurs de la guerre : déferlement d’un ennemi, morts sournoises, dérèglement des activités économiques et sociales, confinement, restrictions, mobilisation générale…

Si nous sommes en guerre, n’est-il pas souhaitable de demander une trêve, un arrêt des hostilités en matière de corruption? L’arme de la paix, c’est la transparence. Si on inscrit la transparence dans nos priorités en tant que personne et comme organisation, on AGIT contre la corruption.

La transparence, c’est aussi dénoncer un acte malhonnête dont on est victime ou témoin. C’est vrai que personne n’a envie d’être un lanceur d’alerte. Le terme fait peur. Mais pensez-y deux minutes : si vous voyez un accident de la route, vous allez naturellement appeler les secours. Ça ne fait pas de vous une mauvaise personne, bien au contraire! Pour que notre stratégie de freineurs fonctionne, il faut que les gens qui voient des indices de délinquance dans les contrats publics appellent les secours.

N’hésitez pas à utiliser les lignes de signalement des organismes qui luttent justement contre les actes répréhensibles et les crimes économiques. Je vous laisse méditer sur cette phrase d’Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »

Si vous aviez une demande spéciale à faire, quelle serait-elle?

Avant de prendre une décision ou de poser une action douteuse, les personnes tentées de tricher devraient s’interroger : « Serais-je à l’aise que ma décision soit exposée à la une d’un journal, avec mon visage en gros plan? » Si leur réponse est non, ils ont alors un bon indice qu’ils ne vont pas dans la bonne direction.

Tout ce qu’on demande, c’est qu’au moins, pendant la prochaine année (et idéalement pour longtemps après!), personne ne vienne empirer la situation actuelle déjà assez éprouvante. On ne peut pas se permettre, surtout cette année, que la population encaisse un autre coup de poing en se faisant voler l’argent de ses taxes et impôts par des abus, des fraudes et de la corruption. L’honnêteté est non négociable en tout temps, mais aujourd’hui plus que jamais, les répercussions des mauvais coups font encore plus mal.

J’ai envie de dire ceci aux gens qui pourraient vouloir profiter de la crise : « Ne faites pas ce que vous n’aimeriez pas qu’on vous fasse. Notre malheur présentement est collectif. L’effort doit l’être aussi. »

On vit une véritable catastrophe humaine. N’ajoutons pas de la paille sur l’incendie de forêt.

 

Quel lien peut-on faire entre la crise sanitaire et les contrats publics?

En tant qu’organisation qui lutte pour l’éthique contractuelle, on doit s’assurer que la crise sanitaire ne devienne pas une crise d’intégrité. On entend déjà plein d’histoires de corruption dans le monde médical à travers la planète. La santé est un secteur très à risque, ça ne fait aucun doute. Mais en fait, TOUS les contrats publics sont à risque.

On doit prendre des précautions supplémentaires et identifier les risques pour mieux se préparer (voir nos analyses 19 raisons pour lesquelles il faut se préparer à l’après-COVID19 et L’après-COVID19 : il était une fois l’incertitude). Il y a un risque réel que des entreprises vulnérables financièrement prennent certains raccourcis et tentent d’économiser dans leurs mesures d’éthique.

Il sera important qu’on soit en état constant d’hypervigilance, qu’on ne laisse rien passer.

Prenons l’analogie du chirurgien qui opère des hanches; il n’opérera pas différemment en temps de COVID, mais il va décupler ses précautions pré et post-opératoires. Lui aussi, il sera hypervigilant. C’est la même chose pour tous les bureaux d’enquête et de surveillance comme le BIPA de Saint-Jérôme. À partir de maintenant, nous adapterons nos façons d’opérer. On fera pareil… mais en mieux et en plus avisé.

 

Pendant votre carrière, vous avez pu observer comment les gens agissent en situation de crise. Selon vous, comment une période de grand stress peut modifier les comportements des êtres humains en termes de délinquance contractuelle?

En période de grande tension, les décisions deviennent souvent plus émotives que rationnelles. À plus forte raison quand on est en mode urgence! Le temps et la réflexion sont les amis de l’éthique. À l’inverse, le stress et la peur sont rarement bonnes conseillères. Les policiers pourraient vous le dire, leur premier réflexe en cas de crise est de désamorcer. Quand la tension est élevée, les gens peuvent commettre des actions qu’ils regrettent.

En plus du stress, la fatigue a une grande influence sur nos actions. Quand on est crevés physiquement et émotionnellement, on a tendance à chercher la facilité. C’est un risque à considérer. Ceci me rappelle que Peter von Blomberg, qui a été VP de Transparency International, a signalé que, lors de crises économiques [1], certaines procédures d’appels d’offres peuvent être simplifiées et raccourcies et que cela peut mener à des dérapages et à des abus.

 

Qu’est-ce que le passé peut nous apprendre sur cette vulnérabilité décuplée?

Quand l’économie se porte bien, les sociologues ont remarqué que les gens sont plus indifférents aux crimes économiques. Par exemple, dans les années 1980 et au début des années 2000, la corruption a moins retenu l’attention. À l’inverse, quand l’économie est en choc, la sensibilité des individus est augmentée. Le passé nous apprend également que la corruption peut se traduire en pertes de vie supplémentaires [2]. On l’a vu dans de précédentes épidémies comme celle de l’Ebola. Elle peut aussi briser le ciment social si essentiel aux bien-être des personnes.

Le passé nous a surtout appris que la corruption a un impact dramatique sur le bien commun. Ce que l’histoire nous montre, c’est que les crises enveniment la corruption, mais aussi que la corruption envenime les crises. C’est notre responsabilité en tant qu’êtres humains de combattre les abus et les malhonnêtetés. Mon équipe et moi-même, on en fait une obsession.

Si on revient à votre idée de freineurs, quel rôle y jouera le BIPA?

La crise actuelle est un point tournant dans nos vies. Il n’y aura probablement pas de retour complet à l’ancienne normalité. On devra s’adapter à la nouvelle réalité. Le BIPA, dont l’objectif est d’assurer la saine gestion contractuelle, continuera d’accomplir son mandat, beau temps mauvais temps. On se fait un point d’honneur de s’assurer que l’argent de tous serve à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut que les fonds publics soient utilisés à bon escient, sans être détournés, gaspillés ou pillés.

On demande à tout le monde d’être des gardiens de l’éthique pour prévenir les dérapages. Les employés de la Ville de Saint-Jérôme sont avec nous en première ligne. Ils travaillent fort pour garder un niveau de vigilance élevé.

Au BIPA, même si nous sommes en télétravail, nous sommes quand même plus présents que jamais. À mes yeux, la contrainte est une opportunité. C’est l’occasion de développer de nouvelles manières de surveiller et de sensibiliser. On fait de la téléenquête, de la télésurveillance. « Télé- » veut dire distance, mais on ne sera jamais loin. Je vous dirais qu’en matière d’éthique, on ne dépasse pas le millimètre!

 

[1] https://www.lapresse.ca/affaires/economie/international/200909/23/01-904705-la-crise-pourrait-ralentir-la-lutte-anti-corruption.php

[2] https://www.u4.no/publications/la-corruption-au-temps-du-covid-19-double-menace-pour-les-pays-faibles-revenus

 

Lire aussi: Silence, le bruit.

Lire aussi : 5 conseils pour les lanceurs d’alerte qui affrontent la tempête

 


Pour signaler toute irrégularité en matière de passation de contrats ou tout manquement à l’intégrité à la Ville de Saint-Jérôme :

ligne de signalement BIPA

450-431-0031